Chers parents et amis,
C’est le cœur encore bouleversé par les dégâts matériels et les souffrances sans nombre occasionnés par les cyclones Batsiraï et Emnati que je viens vous saluer très cordialement aujourd’hui. Solidaires de tout un peuple de pauvres en désarroi qui est menacé par la misère et même par la famine, nous ne sommes pas pour autant sans projets, comme vous le verrez en lisant les pages qui suivent. Au contraire nous nous sommes lancés dans des actions de grande envergure pour secourir les populations affligées.
Phénomène encore jamais vu, aux dires des anciens, deux cyclones très violents se sont abattus à quinze jours d’intervalle sur de vastes régions de Madagascar, dont le district de Vohipeno où nous vivons, laissant derrière eux un cortège de destructions. Conséquence du réchauffement climatique ? Je le crois volontiers et je pense qu’à l’avenir nous connaîtrons malheureusement de plus en plus d’intempéries de ce genre. Il nous faudra apprendre à vivre avec et trouver les solutions.
Les populations gravement touchées dans leurs moyens de subsistance sont menacées par une grave pénurie alimentaire, tandis que l’habitat de nombreuses familles pauvres est détruit et que beaucoup d’infrastructures sont gravement endommagées. Face à une catastrophe de si grande ampleur, Tanjomoha se sent interpellé pour venir en aide aux populations gravement impactées par les cyclones.
Cette Pirogue est consacrée à l’analyse de la situation à Tanjomoha et dans toute la région de Vohipeno après le passage des deux cyclones ainsi qu’à la présentation de nos actions face à cela. Tout cela va coûter très cher et je fais appel à votre générosité. Je tiens à remercier tous ceux qui se sont déjà mobilisés pour soutenir notre action et en premier lieu l’association France Tanjomoha qui est en permanence à nos côtés pour soutenir le Foyer et ses actions et qui vient de lancer, à l’initiative d’Isaure Gobilliard, un fructueux appel via Credofunding. Merci à Alexandre Poussin qui proposera une nouvelle série de conférences et à bien d’autres encore qui m’ont déjà contacté.
J’invite chacun d’entre vous à proposer cette intention à vos cercles d’amis, à vos écoles, à vos paroisses comme effort de Carême, etc., pour récolter des fonds. Précisez sur le chèque : Service des Missions, Tanjomoha, cyclone ».
Le Foyer de Tanjomoha continue à fonctionner à plein régime et nous devons faire face à nos dépenses ordinaires. Tous nos jeunes handicapés, nos orphelins, nos malades de toutes sortes, nos écoles de brousse, ont besoins de se nourrir, d’étudier et de se soigner. Nous devons pouvoir continuer à acheter nos 12 tonnes de riz par mois, nos médicaments, payer nos 70 employés, etc. Le soutien de nos actions post-cycloniques ne remplace
pas nos activités ordinaires à Tanjomoha mais elles s’y ajoutent. Puisse-t-il en être de même de vos dons.
Je vous souhaite à tous une belle montée vers Pâques où, au terme d’un Carême de conversion et de partage avec les plus pauvres, nous aurons la joie de célébrer le Christ ressuscité !
Le cyclone Batsiraï
Ce cyclone de force 4 qui a d’abord frappé Mananjary est arrivé chez nous dans la nuit du 4 au 5 février vers 20 heures. Ce fut une nuit d’angoisse, dans l’obscurité totale, sur un fond sonore de toutes sortes de bruits inquiétants, ceux des puissantes rafales de vent (235 km/h), de la pluie battante, des tôles qui craquent et s’envolent, des arbres qui se brisent et chutent lourdement. Une énorme branche s’est abattue avec fracas juste à côté de ma chambre, emportant l’au-vent qui est au-dessus de ma porte et de ma fenêtre. Je rends grâce à Dieu de ce que cela n’ait pas été plus grave.
Aux violentes rafales de vent se sont ajoutées de fortes pluies qui provoquèrent une rapide crue de la rivière Matitanana dont le niveau monta de 6 à 7 mètres et causa une énorme inondation. Toute la ville basse de Vohipeno (15 000 habitants) ainsi que les nombreux villages situés au bord de la rivière, se sont retrouvés submergés par les eaux tumultueuses qui montaient rapidement, engloutissant jusqu’au toit de nombreuses cases. Ce sont des dizaines de milliers de personnes qui ont dû quitter précipitamment leurs habitations pour se réfugier chez des parents ou des amis ou s’entasser dans des sites d’hébergement, désignés à l’avance par l’administration, généralement des écoles publiques et privées. La grande église paroissiale de Vohipeno centre, était l’un de ces sites et avait largement ouvert ses portes et celles de ses salles aux 800 réfugiés qui s’y entassaient avec toutes les affaires qu’ils avaient pu emporter. Nous à Tanjomoha, sans être un site officiel, avons reçu des familles voisines et avons approvisionné en sacs de riz les réfugiés. Notre cantine d’Ambolosy a accueilli de nombreuses familles que nous avons nourries durant plusieurs jours.
L’arrivée de ce cyclone avait été annoncée une semaine à l’avance par la météo, si bien que nous avons pu nous y préparer. Nous avons passé des journées entières à renforcer nos toitures en augmentant les vis à tôles et en rajoutant des fers plats solidement cloués pour mieux attacher les charpentes entre elles, là où c’était nécessaire. De plus nous avons coupé des arbres ou des branches qui étaient trop près des bâtiments.
Le dimanche matin, lorsque le jour se fut levé, alors que le vent et la pluie avaient bien baissé, je suis sorti pour saluer et encourager les habitants de Tanjomha et constater les dégâts. Tout le monde était fatigué, mais content que le danger se soit écarté et d’être sain et sauf. Le spectacle que j’avais sous les yeux était désolant. Partout des arbres abattus, brisés, couchés sur le sol. Un Bonary de belle dimension était tombé
juste à côté de l’atelier de menuiserie, emportant l’auvent qui longe le mur. Le clocher de notre église était décoiffé. Toutes nos allées étaient barrées par les arbres abattus si bien qu’il était impossible de sortir de Tanjomoha en voiture.
D’autres bâtiments avaient souffert au niveau des toitures (la maison des Sœurs et la nôtre, une maison d’employé, un réfectoire, deux ateliers, etc.), mais rien de grave qui ne soit vite réparable. Il nous faudra quand même deux à trois semaines pour tout remettre en état. Les dortoirs, presque tous les réfectoires et les ateliers, les salles de classe et les salles d’études, les centres de soins et même nos écoles de brousse,
tout était debout et en état d’accueillir à nouveau les élèves et les malades. Nous étions tous sains et saufs et tout était en état de fonctionner, et de de tout cela nous rendions grâce à Dieu.
Coté jardins et vergers, c’était la désolation, la destruction quasi totale. Presque tous les bananiers, les papayers, les avocatiers, les girofliers et les arbres à pain avaient été cassés, déracinés ou couchés par le vent. Les caféiers avaient perdu presque tous leurs grains, compromettant la récolte de juillet. Seuls les orangers et les cocotiers semblent n’avoir pas trop souffert du vent, augurant des récoltes satisfaisantes.
Même notre belle forêt de bambous géants, que j’aimais tant, avait été dévastée : la plupart des tiges avaient été brisées et mêmes plusieurs touffes, déracinées, gisaient lamentablement sur le sol.
Quant à nos jardins, les légumes avaient été bien abîmés, mais heureusement, peu de choses y poussaient car nous sommes en basse saison.
Point positif dans ce sombre tableau, notre plantation de 4500 vanilliers, protégée par son mur de clôture, avait bien résisté et n’avait subi que peu de dégâts, au niveau des tuteurs seulement, ce qu’il était facile de réparer.
Mais le plus grave était nos forêts, nos superbes forêts, qui avaient été dévastées par les puissantes rafales de vent qui tourbillonnaient et revenaient sans cesse à la charge, arrachant jusqu’aux feuilles des arbres pour les laisser dénudés comme en plein hiver (nous sommes dans l’été austral).
Le constat était vraiment affligeant : des milliers d’arbres étaient brisés ou déracinés, principalement les acacias mangium et, dans une moindre mesure les eucalyptus grandis, les pins et les mélias. Par contre les cocotiers et les jaméloniers n’avaient guère souffert. Le spectacle de ces forêts ravagées était vraiment consternant.
Nous avons commencé notre programme de reforestation il y a exactement 10 ans. Tout poussait et se développait à merveille ; et j’avais prévu d’en faire l’historique dans cette Pirogue, dans un article que j’avais déjà choisi, avec un titre un peu claironnant : « Notre programme de reforestation fête ses 10 ans ». Il en va tout autrement maintenant. Nous sommes consternés et nous attendons la venue de M. Richard Fays, expert forestier, qui est notre conseiller technique, pour voir avec lui comment récupérer les choses au mieux. Maigre consolation : de nombreux camions de bois partiront pour être vendus à Tananarive. Mais les arbres n’avaient pas encore atteint leur maturité et l’avenir de nos forêts reste dans l’incertitude.
Tous ces dégâts à Tanjomoha nous attristent beaucoup, certes. Mais le plus grave, vraiment, se trouve à l’extérieur, pour les populations environnantes, comme je vais maintenant vous le raconter, et c’est certainement cela qui m’afflige et me soucie le plus.
Tout d’abord, les deux cyclones ont conjugués leurs forces pour détruire presque tout ce qui constitue les ressources alimentaires traditionnelles de la population locale pendant ce qu’on appelle la « période de soudure » qui est une période annuelle de semi-disette qui s’étend de la fin février au début mai, alors que le riz de 2ème saison (décembre) est épuisé et que le riz de 1ère saison n’est pas encore mûr (mai-juin). Il s’agit principalement des fruits à pain, mais aussi des bananes, des papayes et des avocats, ainsi que du manioc et des ignames.
Le riz de première saison, appelé Vato Mandry, est sérieusement compromis par les deux inondations successives qui ont fait pourrir les jeunes plants fraichement repiqués. Seules les rizières hautes ont résisté, mais elles sont peu nombreuses. Et maintenant il est tard pour faire des nouveaux semis car le relatif froid de l’hiver pourrait empêcher une bonne floraison du riz et donc entrainer une mauvaise récolte. Si certains paysans ont encore des réserves de pépinières préservées de l’inondation, il est encore temps de faire le repiquage du riz. Mais ils sont peu nombreux.
Ensuite les vents et l’eau ont chacun pour leur part endommagé ou détruit un grand nombre de cases et beaucoup de gens pauvres n’ont plus de quoi se loger.
Ce matin, je viens de recueillir le témoignage de Bienaimé, un handicapé, ancien du Foyer, qui m’a raconté ceci : « Ma case a d’abord été abattue par le vent de Batsiraï, puis elle a été emportée par l’inondation qui a suivi. Mes rizières sont perdues ainsi que mon champ de manioc. Que faire maintenant ? » Des gens comme lui, il y en a des milliers, des dizaines de milliers. La solution ne sera pas facile.
Et enfin beaucoup d’infrastructures ont été détruites : routes, pistes, ponts, mais aussi écoles, dispensaires, bâtiments publics, églises, etc. Et cela aussi pénalise la vie des populations.